pibLa question de la croissance est omniprésente dans le discours politique. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Il s’agit généralement d’une croissance du PIB, acronyme de produit intérieur brut, indicateur qui mesure la richesse d’un pays en termes de production de biens et de services sur une période donnée.

Le propos est ici de montrer les limites de cet outil qui semble avoir le monopole pour évaluer les performances d’un pays (avec son corollaire, le PIB par habitant, qui ambitionne de donner une idée du niveau de vie).

La première critique réside dans le fait que le PIB ne tient pas compte de l’environnement. L’utilisation rationnelle des ressources naturelles apparaît secondaire, tout comme une gestion de celles-ci à long-terme (consommons-les tant qu’on peut, on verra après). Une activité polluante va générer du PIB, et c’est également le cas des opérations de dépollution. Cela n’incite donc pas à faire de la prévention. Ainsi, par exemple, les pollutions diffuses de l’eau vont permettre ensuite à des entreprises de facturer son épuration ; la production élevée de déchet conduira à la mise en place en aval de filières de traitement.

La deuxième limite du produit intérieur brut est son côté mécanique, qui ne tient pas compte de l’utilité de l’activité, et de sa valeur sur le plan humain. On cite généralement l’exemple des accidents de la route, qui génèrent du PIB (soins médicaux, achat de nouveaux véhicules, réparations, …). Une catastrophe naturelle ou un attentat va également contribuer au PIB. Et de manière générale, les guerres sont positives pour l’indicateur, de leur déroulé à la période de reconstruction. Ainsi, le PIB permet mal d’augurer du bonheur et du bien-être d’une population.

Troisièmement, le PIB ne tient pas compte de ce que l’on appelle l’auto-production : si vous avez un potager, les fruits et légumes que vous récolterez ne contribueront pas au calcul de l’indicateur. De même, à chaque fois que vos talents de bricoleur vous permettront de vous dispenser des services d’un professionnel, vous n’apporterez pas votre écot à la richesse nationale. Si en plus vous envisagez de construire votre maison tout seul, la récession nous guette !

Si l’on ajoute à cela que l’ensemble des activités bénévoles ne sont pas prises en compte, l’on va pouvoir conclure que la meilleure façon de favoriser la croissance économique sous le prisme du PIB, c’est de faire du “business” tous azimuths. En poussant le raisonnement par l’absurde, il faudrait que tout soit rémunéré : plus d’acte gratuit, plus de bénévolat, plus de service rendu. Vendez les produits de votre potager à votre voisin, vous achèterez les siens. Rémunérez le conjoint qui ne travaille pas mais s’occupe des tâches ménagères. Ne donnez plus gracieusement des cours de piano au fils de votre ami d’enfance. Tout devrait être facturé et déclaré pour booster le PIB, et permettre à l’Etat d’opérer quelques ponctions salutaires pour la réduction de notre déficit public.

Les messages véhiculés par le PIB peuvent donc faire l’objet de quelques réserves à l’aune des préceptes du développement durable. Rappelons que ce concept ne nie pas l’économie, mais celle-ci n’est qu’une de ses composantes, un de ses trois piliers, qui coexiste avec les enjeux sociaux et la prise en compte de l’environnement. Depuis 2003, la France est d’ailleurs dotée d’une stratégie nationale du développement durable, adoptée pour 5 ans. La deuxième mouture prévoit, à côté du PIB et du taux de chômage, d’autres indicateurs pour évaluer les progrès sur des objectifs tout aussi louables, avec notamment :

  • la productivité matière (qui permet de tendre vers une économie plus sobre en consommation de ressources naturelles)
  • les sorties précoces du système scolaire
  • la participation des femmes aux instances de gouvernance
  • les émissions de gaz à effet de serre
  • l’abondance des populations d’oiseaux
  • l’espérance de vie

Le fait est que l’on entend beaucoup moins parler de ces indicateurs ! En somme, ce n’est pas tant le PIB en soi qui est le plus critiquable, mais sa propension à occulter le reste.

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